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Sexe, amour et autres plaisirs livresques


La grand affaire, c’est le sexe. Comment parler sexe dans un roman ? Comment être libre, comment oser les mots ?


C’est difficile l’amour, les courbes du corps, l’outillage, les transports. C’est le défi du travail d’écrivain : épicer les sentiments, donner à ressentir les relations. C’est dessiner, éclairer, c’est regarder par-dessus l’épaule, par la serrure, c’est se tenir devant le lit, discret, et tout noter.


Ce qui est intéressant et par intéressant j’entends difficile, complexe, confus, risqué, c’est décrire l’amour physique sans user du champ lexical des choses du corps. Rester allusif, léger, parler sur la pointe des pieds, et, malgré les précautions, chauffer un peu, rendre les mots dans le souffle, le grain de peaux qui se hérissent, les gestes, les baisers, la courbure du ventre, le dos, les bras ronds, plus bas, ici ou là.


Lire les choses de l’amour, les mots de l’amour, c’est ressentir de l’émotion vraie, c’est imaginer. Est-elle brune, est-il grand, et lui là, est-il beau, pose-t-il sa main, sa grande main, comme il faudrait pour allumer une chaleur ? On peut y ajouter de la pluie sur le toit, la brise d’été passant la fenêtre, des draps enroulés, des jambes chaudes. On peut penser à l’hiver, serrer les personnages l’un contre l’autre, la chambre, le lit, les draps sont glacés, les baisers, l’haleine chaude sur le visage de l’autre, le nez tout froid, les corps frottés ensemble. Voyez, rien n’est dit, tout est là : la chaleur, les lèvres sur la peau, les draps, l’air, les mouvements, saccadés ou lents, les moments, le début, la fin, cette fin qui vient trop vite ou pas assez, une fin à deux, en même temps, ou quelque chose de maladroit, de sec, de retenu, manquer de transport, de chair, de fluides.

Car, voyez-vous, « parler d’amour, c’est faire l’amour » (Honoré de Balzac).

Cela peut être une guerre, l’amour, le sexe. Une bataille, chacun centré sur sa propre lutte, des mains posées où il ne faut pas, quelque chose de d’égoïste, qui mène à se perdre, laisse le ventre vide et le corps froid, seul, tout seul. Une chose qui dégoûte non parce que c’est laid, ou interdit, ou gênant, mais parce que c’est sans partage, sans poésie, sans échange. Les corps ne dialoguent pas, ils vont au but, ils visent la fin. Alors il y a de la rogne, des volontés imposées, il peut y avoir des mots durs, les corps se séparent, ça brûle et ça fait mal.


Est-ce que c’est attirant d’écrire sur le sexe ? Oui, car c’est là que se tout joue, les rapports entre les personnages, les attentes, les enjeux, c’est dans les corps, sur les visages, les jambes, plus haut, plus bas, c’est là, dans les souffles, les soupirs, les yeux dans les yeux, les mains en coupe, les doigts agiles, timides, maladroits, que la vérité des personnages se construit.

Regarder, écouter, y aller, il faut un certain courage pour y aller, pour ne pas se contenter de tourner la page, pour se jeter dans la mêlée avec eux, goûter à tout, virtuellement, se demander et lui là, comment fait-il ? Elle, qu’attend-elle ? Leurs mains, leurs poitrines collées, les ventres qui battent fort. Qu’osent-ils ? Quel est leur rythme, leurs manières d’agir, qu’est-ce qui résonne pour lui, pour elle? Comment se frottent-ils ensemble ? Souvent ? Parfois ? Longtemps ?


Eux entre eux, elles entre elles, elle et lui, lui et elle, sous les élans, les gestes, rien de neuf, dedans, dehors, dessus, dessous, à la recherche de quoi ? De savoir qu’on compte, que sa petite vie compte, que c’est de l’amour, toute forme d’amour, le beau, le laid, les soupirs, les murmures, c'est le méchant, le grand méchant amour. Tous les personnages vont par là.


« Mon garçon, on a beau dire, nos désirs sont vertigineux, instables, avides, tellement indécis, si vite perdus et usés. (...) Il faut donc que ton amour soit plus jeune que toi. (...)

Mon amour à moi est sans limite, comme la mer. »


William Shakespeare, la Nuit des Rois, Orsino, II, 4


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