AD Salamin
Chroniques Affamées
Récit de voyages
Souvent je pense à ne plus jamais rentrer.
Je pousse la voiture, prochain virage dans cinq cents miles. Rouler dans le ciel, croiser des crinières de nuages, la voiture à la course avec les oiseaux. Je m'arrête pour voler du coton dans un champ. Penser à Baldwin, à Burke, à Steinbeck, et à McGuane, à Erdrich, T. C. Boyle, à Proulx Annie, Stephen King, Oates, Kingsolver, la liste est longue, lire de tout, lire partout.
Bouffer le pays, faire craquer ses os, en sucer la moelle. Du nord au sud, est, ouest, toutes ces choses. Les champs de derricks, pétrole et gaz, flammes oranges sous les lumières électriques et du noir tout autour, les plants de maïs hauts ou juste coupés, les montagnes, parcs nationaux, rangers, vergers d’oranges, d’avocats gros comme deux poings serrés, des villes de briques : dans ce pays, tout n’est pas verre et béton.
Nos vies sous la glace
Roman
A quoi ressembles-tu aujourd’hui, Danny ? As-tu les mêmes yeux marine ? As-tu conservé ta peau pâle ? Ou l’âge est-il tombé sur toi, dissipant ton éclat singulier ? Sur la jaquette de tes bouquins, tu es long, maigre, sérieux. Chemise plaquée au corps. Beau, oui. Un homme avec quelque chose de fragile, de délicat, c’est toujours beau.
Il me reste quelques semaines de liberté, j’aimerais visiter des régions inconnues. J’étais gamine lorsque nous étions parties, maman et moi. Je n’avais traversé que les villages situés non loin de l’île, Baie-Saint-Paul, Sainte-Marie de Charlevoix, ce genre de noms. Je pourrais remonter le fleuve jusqu’à toi.
Je me suis acheté une voiture, un vieux clou criblé de rouille. Mille kilomètres me séparent de l’île. Je vais foncer à travers l'hiver, chauffage à fond jusqu’à te retrouver, te clouer au sol, et prendre la mesure de qui tu es devenu.