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Première carte postale : Moi, le froid et le type en jaune.


Reprise des cartes postales, envoyées du Canada cette fois, où, en plein vortex polaire, j’ai débuté l’écriture de mon troisième roman.

Le frère (la sœur?) de ChatGPT, DALL-e 2, illustre mes aventures glaciaires à la manière du peintre Edward Hopper. Pas toujours fidèle, mais l'ambiance mystérieuse y est.

Bonne lecture !

3 février 2023

L’avion se penche sur le lac Ontario, peau de lézard bleue, traînées de courant et de vent. Il fait -17°, selon l’affichage. Par ce grand soleil, difficile de croire que c’est l’hiver à Toronto. La ligne des gratte-ciels apparaît, les tours du quartier des affaires, et des milliers de petites maisons identiques. De plates étendues de neige lignent les rues.

Il faudrait découvrir Toronto avant NYC, avant Chicago. Parce que je la compare et qu’elle perd. Je suis marquée, imprégnée par les deux villes américaines. Le lac Michigan, c’est l’océan, à New-York, les gratte-ciels étroits, élancés, puissants, originaux, c’est la vraie skyline.

Toronto joue aux grandes filles, petits pieds dans les chaussures de sa mère, rouge à lèvres, collier sautoir sur lequel elle trébuche. Elle copie ses illustres collègues, avec son petit lac qui ressemble à un lac, ses tours qui se frôlent sans hardiesse.

Sortie de l’aéroport. L’air glacé me choque, il s’infiltre dans mes chaussures, pull, ventre, cuisses. Je zippe ma grosse veste, enfonce un bonnet, glisse mes mains dans des gants. Sur le bitume, des cristaux de sel bleu. Taxi, surtaxe carburant de 3$ par grand froid. En route, mêmes courtes maisons qu’en approchant New-York depuis JFK, des immeubles en brique, moins de panneaux publicitaires, trafic raisonnable, la ligne scintillante du lac. Il est 17 :00, un pont se découpe contre le ciel orange. Aux feux de signalisation, une voiture tunée joue du gros rap, fenêtres ouvertes, conducteur bras nu à la fenêtre comme à Miami.

J’ai choisi de dormir dans un gigantesque hôtel un peu défraîchi parce qu’il donne sur la gare. Demain débute la lente remontée vers Québec à bord des trains Via Rail. Pas de magasin dans la gare.

Je remonte Bay Street. Il fait sombre. Autour de moi s’alignent des immeubles, bureaux, pas un chariot de nettoyage en action, lampes, plafonniers allumés pour rien. Je marche dans des panaches de fumée qui s’échappent des gouffres d’en-dessous. Le vent souffle fort, les rafales plaquent la vapeur, la soulèvent, virevoltent, avant de la chasser à l’horizontal.

Plus haut dans la rue apparaît l’enseigne d’un 7eleven, pimpante, un phare dans la nuit. J’accélère. J’ai faim, ou pas, soif je crois, je suis encore à six heures d’ici.

Devant le magasin, une chaise de bureau aux roues cassées, des cartons de pizza éventrés, des vêtements en boule, des gobelets, des pailles.

Un type est assis sur une grille à vapeur, enveloppé dans une couverture de survie. Bonnet noir. Il vit sur ce bout de trottoir. Il s’est organisé. Là, c’est l’entrée, ici la salle de bains si j’en juge la flaque gelée qui va du mur au sol. Lui se tient dans le salon, au chaud dans la vapeur. Son sauna.

Contre la porte de l’échoppe gît un autre gars, à plat ventre, effondré. Gros. Veste jaune. Fesses à l’air. Petite main, une main d’enfant, je me dis ça, il a de petites mains pour son envergure, rêches et blêmes, paume offerte. L’homme est immobile, rigide, est-il mort ou vivant, je ne sais pas, il fait si froid. L’autre m’appelle, demande, insiste. Il pousse un cri strident.

Je cherche le moyen d’entrer dans la boutique. Il faudrait enjamber le gros. J’hésite. Je suis tiraillée : passer par-dessus, craindre de trébucher sur le gars pour aller m’acheter de l’eau, des fruits, des Reese, ou m’en aller ? L’obstacle me préoccupe. Comment réaliser mon plan. Eau. Fruits. Reese.

Je me penche, pose une main contre la vitre, passe un pied au-dessus du gisant, j’espère que le gars ne s’éveille pas alors qu’il se tient sous mon bassin, sous moi. Je ramène l’autre jambe, je pousse la porte. C'est bon.

Dans l’espace entre les deux entrées, il fait chaud. Je me demande pourquoi les types ne se tiennent pas là plutôt que sur le trottoir verglacé. J’entrebâille la porte. Souffle chaud. J’entre. Je me balade dans les étals du magasin, je me sens chez moi, j’achète une banane, une pomme, une orange. L’air sent les cartons, la friture, le chocolat industriel.

Le caissier est au téléphone. Il est énervé, je passe ma carte contre la machine. Ça ne fonctionne pas. « Debit or credit », grommelle l’homme. « Credit ». Ça marche.

Je rassemble mon courage pour faire le chemin à l’envers. Je pousse la porte avec précaution, je ne veux pas cogner dans le type. L’opération se passe bien, il ne bouge pas un cil. J’emporte la vision de sa bouche ouverte d’où ne sort aucune buée.

En descendant la rue, la porte suivante est un restaurant italien. J’entre dans le bistrot, je commande des spaghetti maison et un thé chaud. A chaque fois que la porte s’ouvre, je reçois une baffe glaciale qui fige mes pâtes. Je réfléchis au ralenti.

Sirènes de mégapole. Un véhicule de police monte sur le trottoir. Stationne. Mes pâtes palpitent en rouge et bleu, rouge – pâtes – bleu – pâtes. Arrive une ambulance. C’est pour le type au sol, bien sûr. Le rouge clignote plus fort, le bleu s’amenuise. Hurlement des voitures qui dégagent. J’ai terminé mon plat.

Dehors, le froid est plus amer encore. Les types devant le magasin ont disparu tous les deux, avec la bagnole de flic, et l’ambulance. Je descends la rue, le froid est comme épais, c’est cela, une épaisseur cuisante. Je me sens bizarre. Décalage horaire, et aussi parce que ce soir, j’ai fait cela : j’ai marché par-dessus un type gelé, visage contre le sol. A froid, si j’ose dire.

Douze jours plus tard, je ferai des kilomètres en t-shirt sous la grosse veste, dans la ville devenue printanière. J'apprécierai de remettre des baskets après les lourdes bottes d'hiver.

Les oiseaux chanteront partout, sur Ward’s island, dans les quartiers pauvres, punks, chinois, graffités, dans ceux qui sont en train de changer, petites maisons arrachées au bulldozer, gigantesques grues.

J’en verrai d’autres des types perdus, des pendus sans corde, loin de toute humanité, la leur, la nôtre, nus parfois, criant comme les fous qu’ils sont devenus, rampant à quatre pattes, effondrés au milieu de tissus informes, roulés en boule devant d’autres épiceries, arrêtés par des flics courtois et calmes.

Je m’interrogerai sur la chance, les trajectoires, le pays où on naît. Les mains dans les poches, je débattrai avec moi-même du système social, des drogues et du Fentanyl, trop peu chers. Je regretterai le prix de l’immobilier, le manque de shelters, la santé mentale livrée à elle-même.

Je conclurai, qu'en matière de SDF, Toronto surpasse ses sœurs américaines.


(pour tester Dalle-e : https://openai.com/dall-e-2/)

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