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Sixième carte postale


Cesenatico, quelques années plus tard.


A la Pensione Da Pino, le petit déjeuner devait être pris ridiculement tôt : entre 7 :30 et 9 :00. Epuisés de sable et de mer, nous avions de la peine à de nous lever à temps, nous devions presque toujours courir encore endormis, nous asseoir en catastrophe, bâillant, cheveux embrouillés, les yeux gonflés.


Lorsque nous arrivions à nous lever à temps, nous passions short, maillot, sandales. Je ne sais pourquoi nous ne mettions pas notre costume de bain sous nos vêtements. Toilette rapide, de l’eau sur le visage, peigne dans les cheveux, grimace ça tire. Dentifrice, on rinçait nos dents avec de l’eau en bouteille. A cette époque, les vacances en Italie étaient vues (à tort) comme un dangereux combat contre un univers de germes et de bactéries.


Nous mangions sur la vaste terrasse carrelée, la brise remuait les stores. Il faisait invariablement beau. Cela sentait l’eau, le café, le propre : les nappes lourdes, nos serviettes dans un rond de bois, notre table toujours la même.


Le repas était médiocre. Dans l’assiette, un petit fromage bel paese dans son emballage doré et vert, une portion de beurre. Sur la table, une assiette de pains ronds, blancs. La mie sans sel se déchirait en longues bandes sans saveur. A côté, une coupelle de confiture dont la couleur changeait chaque matin sans que le goût n’en soit affecté. Thé, café, lait, chocolat chaud épais. Rien de fameux.

Nous faisions la grimace. Les parents tentaient de nous forcer, on grignotait du bout des lèvres. Ils savaient que nous aurions faim plus tard, qu’on les supplierait de nous acheter des beignets et des sandwiches à la mortadella qui nous couperaient l'appétit pour le déjeuner. Nous étions en pension complète.


Un matin, tout changea.


Nous étions restés endormis jusqu’à 10 :00. Nous avions faim, le personnel de la pension ne montra aucune pitié, pas question de servir les retardataires. Mon père prit les choses en main. On marcha jusque sur l’autre rive, on s’installa sur une terrasse posée sur le canal.

L’odeur était forte, lourde, je tentai de résister au besoin de l’analyser, impossible de m’en empêcher : poisson pourri, algues, coquillages et quelque chose de lourd et métallique, du sang frais.


On nous servit de larges tasses de thé dans lesquelles flottaient des tranches de citron frais. Personne ne m’empêcha d’y mettre une bonne cuiller de sucre. Je remuai le breuvage, formant des ondulations similaires à celles que faisaient les bragozzi aux voiles colorées qui voguaient lentement d’un chenal à l’autre. Le canal a été construit en 1502 selon des plans conçus par Leonard da Vinci.


Mon père commanda de petits panettone sur lesquels nous étalâmes du beurre, belle époque où le mélange sucre et gras était apprécié sans remords. Sur des tranches de pain blanc, on plaça des tranches de jambon de Parme translucides.


Le goût d’orange et de vanille du gâteau, celui inimitable de la charcuterie se mélangeaient aux remugles de l’eau sombre, soleil, léger courant salé, les parents en lunettes noires, nous heureux de faire le petit déjeuner buissonnier.


Les matins suivants, on resta au lit à lire des bandes dessinées en silence, espérant que les parents restent endormis et qu’ils nous emmènent à nouveau sur la terrasse aux délices.



« Faites toujours que votre tableau soit une ouverture au monde. » Leonardo da Vinci

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