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30 secondes sur ma chaise longue



Dehors, dans un brin de soleil, pause sur la chaise relax.

De la terrasse, je vois les arbustes qui ont perdu leurs lilas, feuilles vigoureuses, bien vertes. Des nuages bouillonnent de l’arrière des montagnes, réduisant le ciel à une cuvette de bleu dans laquelle je plongerais, bras tendus. A quoi ressemble la nage dans les nues, j’imagine qu’il faudrait ramer vite, secouer bras et jambes, et y croire, y croire fort puisqu’on ne sait pas voler.


Je ferme les yeux, la chaleur me monte au visage, je me sens rougir. J’étends les jambes, pose un pied sur la barrière. D'ici, je surplombe la plaine, la vue est large. Petite route, village, des vignes, des vignes, et beaucoup plus loin, la pelisse de la forêt, épaisse, mystérieuse, découpée d’un grand carré vert vif. Des cultures. Une ferme. Au fond là-bas, des montagnes pointues, encore blanches, et ça s’arrête. A partir de là, c’est fermé. Ce qu’il y a derrière, je le sais, mais je préfère me faire croire que je n’ai franchi aucun col, personne ne l’a fait, donc personne ne sait ce qui vit au-delà du relief.

Je joue avec l’idée de cette contrée mystérieuse, où l’on parlerait une langue inconnue, où personne ne saurait rien de nous. Je dote ce pays imaginaire d’une large étendue d’eau, des marais peut-être, infestés de gigantesques roussettes se livrant à de fameuses batailles contre des brochets taille requin. Des hommes marchent, battant les fonds à l’aide de hautes hampes de bois. Où vont-ils. Ils rentrent chez eux après plusieurs années au loin. Ils ont des cheveux couleur mousse pour se fondre dans le paysage, sont d’âge moyen, ont été bannis du pays. Pourquoi. Et pourquoi reviennent-ils aujourd’hui.


Peu à peu, je glisse dans un sommeil du dehors, fait de pensées à la course, j’abandonne les hommes et leurs bâtons, je les laisse traverser seuls leurs étangs. J’écoute les bruits de l’été.


D’abord, le vent, là où je vis il y a toujours du vent. Il n’est pas trop fort, caresse mon visage, s’enroule autour des jambes, soulève les poils du chien, remue les arbres. J’imagine ce que c'est, être une branche, secouée par l’air, frappant la branche d'à-côté, « salut toi, salut », et l’autre répondrait « tu vas bien », et le vent les séparerait, une troisième branche se cognerait contre la première, « salut toi, salut ».


Un gros bourdon tourne autour des vasques de fleurs encore vides, il voit mal, bute contre les parois vernissées, plusieurs fois c’est un obstiné. Il rebondit, s’envole, frôle mes cheveux, je sursaute. Je garde les yeux fermés c’est le jeu. Il s’éloigne, le son diminue.

Deux oiseaux s’engueulent, pas de la même race, un pépie dans les aigus, l’autre chante, ce doit être un merle. Deux pies se bataillent, elles ont un cri rude et sec, moins beau que leurs tenues. Le plus petit de deux piafs reprend le dessus, il s’égosille, il veut convaincre le merle de lui donner un coup de bec, une brindille, quelques plumes, allez savoir.


Passe un avion, grondement assourdi par les couches de nuages, j’essaie de ne pas tricher, garder les yeux clos. Je parie que le gros porteur traîne après lui une longue jupe, faite de trois foulards blancs qui se dissolvent peu à peu dans l'azur. Enfant, au lit tôt le matin, j’aimais deviner le temps qu’il faisait au bruit de l’avion. Clair ou sourd ou aigu, alors dehors c'était bleu, nuageux ou gris foncé. Un ronronnement plus audible passe au-dessus du toit, un petit avion, quatre places pas plus. Il perd de l’altitude produisant un son en vague, plus bas, plus aigu, puis il se stabilise, reprend le ronron habituel.

Chuintement de cycles passant en coup de vent sur la route. Ils sont quatre, se suivent l’un derrière l’autre, ce qui me permet de les compter sans les voir. Ceux-là ne parlent pas. Parfois les cyclistes qui passent sont bavards, ils se racontent des histoires de week-end, de travail, d’amis, que j’attrape par bribes. J’aime bien quand les hommes se racontent des histoires, il me semble qu’on pourrait être amis. L’un est bavard, l’autre écoute, parfois il dit « oui mais », l’autre enchaîne « tu comprends », et je connais pas la fin parce qu’ils s’enfuient d’un coup de roue. Toujours des hommes, jamais de femmes. Il arrive qu'ils soient plus âgés, dépassant tout le monde avec un vélo propulsé à l’électricité plus qu’aux cuisses, une monture qui fait « schhhhh » d’une voix de basse.


Les oiseaux reprennent leur chant, et le bourdon, et l’avion, un moment tout se confond dans un jacassement. Soudain, plus rien. Une demi-seconde de silence. En apesanteur. Mais vite monte la clameur des voitures qui foncent sur la chaussée bordées de peupliers, loin d’ici mais le son monte et me percute. Une voiture, deux voitures, quatre voitures, et puis silence. La canne d’un promeneur tape l’asphalte, tac, tac, tac, peut-être est-il malvoyant, ou manque-t-il d’équilibre, ou elle car il se peut que ce soit une femme.


Certains bruits me manquent. Lorsque j’étais enfant, j’habitais tout près d’un lac un peu sauvage, bordé de saules qui trempaient leurs branches dans l’eau, aller retour, aller retour. Le mouvement provoquait un grincement qui faisait craindre à la chute de l’arbre. J’appréciais la légère tension et le plaisir mélangés.

A cette époque, le son des beaux jours c’étaient les cris des grenouilles, des crapauds, des reinettes, en pleine crise d’amour fou, parfois profonds comme un rot, parfois aigus, une plainte, forte, douce, qui craquait et ça reprenait, ritournelle casse-oreilles. Les visites disaient toujours « mais comment vous supportez le bruit ». Moi, j’aimais bien la cacophonie, le chaos auditif. De manière générale, j’apprécie un peu de chaos.

Parfois, tout s’arrêtait, l'air s’épaississait, vide, creux, nous arrêtions de respirer une seconde, était-ce terminé, le temps des amours allait-il s’achever après cette dernière plainte, eh non, tout recommençait. Les craquements, les renvois bruyants, les ricanements, tous en même temps, et plus fort, et plus vite. Les bestioles laissaient dans les roseaux de longues traînées gluantes remplies de grains noirs qui donneraient des têtards, puis des crapauds, grenouilles, rainettes, alors l'été suivant, tout reprendrait, la bande sonore, les ploc dans l’eau, et les affreuses bestioles pleines de pustules, figées sur les escaliers menant à la maison que nous risquions d’écraser d’un pas aveugle.


Plus tard dans la saison, le son qui éclatait en fanfare à l’aube des dimanches d’été, c’était le concours de pêche. Des hommes s'installaient autour du lac, un bidon à leur droite, une canne à pêche dans la main, un coup à boire, un chapeau, un pliant pour accueillir leurs fesses. Il y avait des joutes, un type disait au micro « trois, deux, un, lancez les lignes », on sursautait, puis on distinguait le bruit léger de dizaines de hameçons percutant l’eau. Je me rendormais, mais le cri reprenait « sortez les lignes ». Il faisait jour, et tiède, je n’aimais pas me lever tôt, je râlais. Chez nous, le petit déjeuner se prenait à une heure humaine, 9h00 ou 9h30, dans l’odeur du café fraîchement moulu, des croissants, de la confiture fraises-groseilles cuite et mise en pots au chalet de la grand-mère.

Toute la famille convenait que oui, c’était pénible, ces annonces à six heures trente du matin, mais ceux qui dormaient côté est n’entendaient presque rien, ils minimisaient. « Oh ça te fait du bien de te lever tôt pour une fois ». Non, ça ne faisait pas de bien, je me levais à l'aube chaque jour d'école. Le dimanche, ce qui faisait du bien, c’était de sommeiller, s’éveiller à demi, tendre l’oreille, remuer le museau pour flairer le parfum des viennoiseries, vanille, sucre croustillant, se dire qu’on pouvait bien attendre encore un peu, qu'ils appelleraient quand ce sera prêt, alors je fermais les yeux, dans les rais de soleil passant les stores.

Ma chambre donnait à l’ouest, je voulais qu’on me plaigne, qu’on m’autorise à remonter me coucher, je brûlais de m’étendre dans le lit, m’enrouler dans les draps toute la journée, et n’entendre, fenêtres ouvertes, que le glissement d’un bateau, l’atterrissage souple d’un canard, le pépiement des poules d’eau. Des songes.


Sursaut. Gros son brinquebalant, c’est un camion qui passe, l’habitacle presque à hauteur de la terrasse, le chien hurle contre son ennemi, le fourgon rouge. La pause est terminée.

 

Je rentre pour boire et écrire, ce qui est la même chose en somme.

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