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Troisième carte postale : le Québec dans les bois



            Détour par une érablière. Un gros chat fait l’accueil. Des tubulures entourent et relient les arbres qui, en saison, drainent l’eau d’érable jusqu’au gigantesque chaudron où elle cuira longtemps pour donner des sirops à pancakes ambrés.

La propriétaire, une femme mince et énergique, vient voir ce que veut cette étrangère qui s’amène à trente minutes de la fermeture. Elle parle avec un épais accent, difficile de comprendre les mots, je me laisse porter, détecte le sens sans presque rien y entendre. Je suis plutôt douée en compréhension passive des langues. Il ressort de son discours qu’il est impossible d’acheter du sirop, ici on n’utilise pas de cartes. Je n’ai pas un cent réel, pas un sou physique en poche. Tant pis.

Elle raconte les groupes qui viennent visiter, amenuisés en cette saison. Elle ouvre un antique réfrigérateur, en sort des godets minuscules dans lesquels le sirop est devenu caramel, un bâton à glace planté à la verticale. Elle dit que c’est pour tester la tire, cette manière de figer le sirop en le versant sur la neige que les producteurs pratiquent au début du printemps, quand vient le temps des sucres.

Trois dollars la dose, tout de même. Toujours pas d’argent. Elle demande « ça se peux-tu revenir demain ? »  Je ne crois pas. Sur une table, une bande dessinée sur la cabane à sucre, des rouleaux autocollants au nom de l’exploitation. Dehors, chrysanthèmes et courges décorent les escaliers de bois. Le soleil bas se faufile dans entre les arbres. La femme et moi, on se serre la main comme des hommes.


Juste au point où rejoindre la route, dans un au bout du chemin aux senteurs d’anis et de champignons, un chevreuil. Il file sur la droite, se cache derrière un rocher, et passe un œil pour regarder cette voiture, cette étrangère qui passent.

Plus loin des bois aux fûts rectilignes, un panneau bleu qui annonce « route des belles-histoires ». Ça me parle. Je me demande pourquoi ce trait d’union entre belles et histoires.


Au bord du lac Tremblant, les restaurants se nomment la petite cachée, les auberges, le lupin, le refuge. Retour à St-Jovite. Joli café « ça me dit », en bois blanc. Fauteuil à bascule sur la terrasse, du foin en bottes, des courges. Dans un détour, un quartier de boutiques figurant une petite ville, au coin des bâtiments des personnages peints, feignent de lire le journal. Une boîte à livres carpe diem bien rangée.

J’entre dans une librairie, m’étonne de trouver un livre de l'auteur québécois Kevin Lambert, récent prix Médicis, et un autre d’un certain Kev Lambert. Le libraire m’instruit. Le premier a entamé une transition vers le second. D’accord. J’hésite, finis par acheter un bouquin de poésie : « j’habite quelque part où, la nuit, j’entends les souris qui meurent » (Stéphanie Boulay). Un des futurs protagonistes de mon troisième roman est poète. Quelle idée, moi qui ne la pratique pas, mais l’aime et l’admire.

Je rejoins la voiture dans le soir qui tombe en coulées pourpres sur la route, la forêt, le lac. Maison. Depuis le ponton, le plop d’un poisson qui s’offre une friandise, des roseaux noirs, grand ciel comprimé d’arbres, et le soleil sanglant qui plonge une dernière fois.

Ça sent l’eau, les feuilles noyées, et l’air frais.

 

À demain

 

« Deux routes s’offraient à moi, et j’ai suivi celle où l’on n’allait pas »

Robert Frost


Images dalle- 2 et canva IA

           

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