Je reviens d'un voyage en Amérique du Nord.
D'abord au Québec en automne, pour les feuilles et une conférence, un workshop plutôt, consacré au péril/opportunité du moment : l’usage de l'intelligence artificielle en l’éducation.
Mini roadtrip de cinq jours avant les costumes serrés et les présentations Powerpoint.
A New York plus tard, pour le plaisir et pouvoir palper le pouls de l'élection présidentielle toute proche.
Série de cartes postales.

Comme pour les vignes au mini-pays, la saison des feuilles au Québec connaît trois états. Un : il a plu, il fait doux et humide, ciel gris, les feuillus ont perdu leurs ors, ils gisent à leurs pieds en bouillie brune. Deux : il fait chaud même la nuit, tout est encore vert et craquant. De temps à autre, une feuille rougit, à peine remarquée dans la marée émeraude. Trois : la température est idéale, chaude en journée, froide la nuit, il fait sec et bleu, les forêts, les parcs mélangent les roux, les jaunes, oranges, carmins, rouges dans un incroyable feu d’artifice. Le cinéaste Xavier Dolan disait dans une interview que lorsqu’un réalisateur demande des fonds au Québec, la première question qui vient, c’est : « pour tourner avant ou après les feuilles ? ».
Seize heures. Arrivée à Yul, aéroport international de Montréal. Douaniers détendus et agréables, rien à voir avec les customs US qui identifie en chaque touriste un potentiel émigré clandestin. Bonne grosse voiture de location, il y a de la route jusqu’à la première étape, « les dames du lac » à Mont-Tremblant. Un B&B pour une fois, moi qui préfère les hôtels de chaîne sans charme, clairs et nets. Les alentours de Montréal sont criblés de travaux, on roule cul à cul, à dix à l’heure.
J’essaie de sortir par une bretelle, de choisir de petites routes, rien à faire, tout le monde a eu la même idée. Après deux heures, j’aurais progressé plus vite à pied. Je sors pour manger quelque chose. Google me mène à un burger qui sent le graillon, jolie déco industrielle. Toujours étonnant d’entendre l’accent bourru, les mots particuliers, les expressions qui étonnent. On réalise assez vite qu'elles constituent souvent une traduction 1/1 de l’américain. « Ça fait du sens » (it makes sense » : c’est logique), « prendre une marche » (take a walk : faire une promenade). Les générations Z et ultérieures, elles, se donnent de moins en moins la peine de traduire, elles truffent la langue d’expressions en anglais.
Verre d’eau gratuit saveur javel. Eau minérale gazeuse, burger, frites molles. Rien à signaler, la nourriture est correc. Carrot cake en dessert, la serveuse ajoute tsé à la fin de chaque phrase : « c’est comme pas grand du tout, tsé, juste ça », elle montre une petite part avec ses deux mains jointes. Elle a oublié de figurer la hauteur. La tranche est énorme, le goût sucré, gras et sec. Je chipote deux cuillérées, laisse le reste. « Tu le veux-tu prendre avec toi ? ». Non, mais merci. Sourires. « Française ? » « Suisse ». Étonnement.
Retour sur la route. Je traverse lentement des zones industrielles, au loin, sur une halle, un gigantesque dessin montre des visages noirs, robes colorées, fruits, palmiers. Le ciel est gris, la nuit descend peu à peu sur les phares arrière des voitures. Les plaques notent « je me souviens », la devise du Québec. Quelques voitures viennent d’Ontario, « yours to discover ». L’arrivée dans un autre pays en fin de journée laisse souvent un souvenir mitigé, il fait froid, les environs sont moches, fatigue du voyage, debout dès 5 du mat.

La voiture se traîne en direction de Mont-Tremblant. J’informe notre hôte de ma progression, de retard en retard. Après quatre heures de route au lieu d’une et demi, voilà le chalet au bord d’un lac noir. Dans les phares, des feuilles bien jaunes. La maison est vide, les marches craquent sous mes pas. Code, entrée. Je me déchausse, hisse ma valise à l’étage.
Silence. Personne.
Grande chambre, moustiquaires intégrées aux vitres. Les draps sont en lin. J’écoute les craquements de la maison, le froissement des arbres. Une chouette répète « ouh-ouh ».
Crevée. Pas sommeil.
A demain.
« Voyager rend modeste. On voit mieux la place minuscule que l'on occupe dans le monde. » Gustave Flaubert
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