Au lever, tout a changé. Le soleil entre dans la chambre en larges bandes tièdes. Me penchant à la fenêtre, je découvre la voiture décorée de feuilles tombées des bouleaux et des trembles. Fraîcheur, silence. Oiseaux.
La grande maison en bois compte deux salons, cinq chambres. Escalier, chaussures. Dehors, ça pique un peu, l’air sent l’humus, la cave à pommes. Je descends vers le lac cerné de couleurs. Un ponton mène à des canoës abandonnés à la saison. Un hydravion se pose, froissant l’eau. Des chaises Adirondacks rouges grelottent sur un radeau. L’eau est claire, entourée d’arbres entre lesquels se devinent des chalets. Je retourne à la route, marche dans les feuilles et les aiguilles rousses. À gauche, un éclair d’eau entre les érables, à droite des maisons en bois, rondins ou lattes selon le goût du propriétaire.
Retour aux Dames du Lac. Belle maison, style ancien, vitraux aux fenêtres de la terrasse, de la grande pièce pour banquets baignée de lumière froide. Bibliothèque, fauteuils, plancher blond, tapis en lirette. La construction n’a que trente ans, on la dirait sortie des années quarante. Le propriétaire est français, cela se ressent dans le petit déjeuner gourmand, les détails, la confiture maison. Seul le thé est sans saveur, comme d’ordinaire en Amérique du Nord. Le café est dilué au-delà du réel, et le Earl Grey goûte le carton, comme on dit ici.
Nous discutons de tout et rien, il vient des îles françaises, s’est installé au Canada il y a dix ans. Il évoque la situation du Québec, les facilités, les portes qui, ici aussi, se referment sur l’immigration. Je traînaille à table, par la fenêtre le soleil reluit la forêt. Le lac n’est pas perceptible, mais il est là, empli de secrets et de vie aquatique.
En voiture pour découvrir les environs. Petite joie à suivre la route fendue d’une ligne jaune, entre deux forêts en couleurs.
Supermarché à Saint-Jovite. Les caisses débordent de courges Jack o’Lantern, Halloween approche. Je découvre de la confiture Smucker’s à la fraise en pot d’un kilo, mon ennemie, aucun goût, « pure » dit l’étiquette, purement industrielle, oui. Chaque motel américain propose cette purée fade conditionnée en petits blocs. Plus loin, un paquet de retailles d’hosties. Me revient une bouffée d’enfance au mini-pays, la porte grillagée du couvent où, lasse de traîner dans la vigne du grand-père, j’allais quémander aux Sœurs du sirop grenadine et des chutes d’hosties.
Saint-Jovite, village tout en longueur, la plus jolie église du Nord, dit un panneau. Elle s’élance au bord de la rue ombragée, briques grises, bordures blanches, clocher. Au Québec, les églises sont surdimensionnées. Chaque village, hameau en héberge une immense. Sur un bâtiment en lattes de bois beige, bordures marron, une fresque, une famille, un curé, un évêque. Un drapeau québécois bleu à fleurs de lys flotte contre le ciel. Grand beau.
Je me balade de boutiques en pharmacies. Je demande à une vendeuse comment se rendre au télécabine du Mont-Tremblant. « à trois lumières, ça se prend à gauche ». Au mini-pays, on dit « feu », ici « lumière », ça brûle différemment.
Le site bien touristique au pied du Mont-Tremblant est rempli d’Asiatiques à perche pour smarphones et de touristes du coin. Flemme de faire la queue pour les tickets, je scanne un QR-code, et entre dans un vortex d’opérations complexes et illogiques. C’est un de mes domaines d’expertise professionnelle, je ne me peux m’empêcher de refaire l’application en pensée, elle est truffée d’incohérences ergonomiques, ça pourrait presque m’agacer.
Première montée en télésiège sur une montagne pour rire (875 mètres), abrupte tout de même. Le paysage ressemble à un tableau sur lequel le peintre aurait pu placer de la gouache au hasard, jaune, roux, bleu, vert, jaune. Beau. A mesure que je m’élève, la lac Tremblant s’étire sur la plaine, semblable à un fjord sans parois. Dernière montée en télécabine, la file est longue, ils placent les gens par deux alors que la cabine pourrait en contenir huit. Au Québec, pas de tentation pour l'optimisation des systèmes, comme au mini-pays.
Encore quelques efforts pour grimper sur une tour d’observation. De là-haut, le paysage est immense. La vue dégringole sans fin entre les sapins, des collines bleues fondent à l'horizon. De petites îles moussues d’arbres voguent sur le lac.
J'avale une salade quelconque et un Snickers à la cafétéria de l’arrivée. Dehors, une mariée se fait prendre en photo contre une barrière. Chair de poule sur les bras, traîne envolée dans le vent, ne recule pas, chérie, chuter d’ici ça ferait mal.
Retour à la voiture. Je croque une pomme rouge et verte, j’en ai acheté un sac entier que je peinerai à terminer. Ça roule bien jusqu'au lac et à l’auberge. L’hydravion a disparu. Le soleil aussi, les feuilles dansent dans l’air, se rabattent au sol, des fouissements d’animaux discrets courent les bois.
Ce soir, je mange à Saint-Jovite, chez Seb l’Artisan culinaire, en hommage au héros de « toutes sortes de bleus ».
A demain.
« Tout devant
Rien derrière
Comme toujours sur la route »
Jack Kerouac
Images par Dall-e 2
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