C’est pour moi la grande difficulté. J’écris sans effort, ça coule, comme je l’ai dit j’écoute les personnages, je suis leur scribe, je n’interroge pas, je ne prends pas de distance, je rédige, à grande vitesse, à la volée. Ce qui sort dans cette première version, dans l’urgence, c’est une écriture compliquée, lourde, imagée. Je ne sais pas écrire simple. Ça s’emberlificote, les atours, dix mots pour un, la dentelle, les fils d’or, toujours plus, trop de tout. C’est la nature de l’écrivain qui ressort en premier. La mienne est excessive, superflue, toujours plus. Je note chaque détail que je « vois » lorsque parlent les personnages, et il y en a beaucoup. Des pages et des pages.
Godard faisait dire à un de ses acteurs dans son film « le livre d’images » : « je cherche de la pauvreté dans le langage ». Cela guide mes nombreuses relectures : couper, effacer, remplacer.
Je suis, sans toujours réussir, deux règles d’Hemingway : le moins d’adverbes possible : longuement, bravement, doucement, fermement, je raye, rature, delete. Le grand écrivain conseillait aussi de ne pas utiliser un mot d’argot qui ait moins de cent ans d’âge. Ainsi, même si le personnage est jeune, pas de meuf, de veuch, de trop cool, de à fond.
Lors des trois premières relectures, je choisis les images les plus efficaces, les plus vraies, celles qui fendent l’âme. Les autres disparaissent.
Est-ce dur d’effacer des paragraphes, des pages entières qui ont demandé du travail, de l’énergie, des heures derrière l’écran ? Oui. Je me console en copiant-collant les parties les plus douloureuses dans un document nommé « coupures ». Il arrive que je récupère des lambeaux de phrases, c’est rare.
Je suis Flaubert qui testait ses phrases au fond de son jardin, dans son gueuloir. Moi, je lis le texte à voix haute, raturant ou remplaçant tous les mots sur lesquels je bute. J’utilise l’application dictaphone de mon téléphone pour enregistrer les parties qui « crochent », qui ne coulent pas, qui sont compliquées. L’écoute de ma voix électronique objective le texte et m’aide à trouver ce qui ne va pas.
Je vise une écriture qui roule dans la bouche comme les bonbons Rondoloro de mon adolescence : acidulés, ronds, agréables à tourner et retourner avec la langue. J’y arrive parfois.
Et puis, un jour, je décide d’ajouter des parties, de compléter ce que le personnage voit, fait, mange, je fais des recherches, j’ajoute, je modifie, je tire des lignes qu’il faudra revoir, effacer, détruire ou non.
Pour un roman, plus de trente versions avant de s’avouer que c’est terminé. Alors viennent les ultimes relectures, traquer les coquilles, les oublis, les fautes d’orthographe que le cerveau a évités.
Il en restera, il faut l’accepter.
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